César avait politisé le calendrier romain ; Auguste l’avait utilisé pour promouvoir un culte impérial ; le christianisme se l’est approprié, modifié, a élaboré un rituel faisant disparaître la mesure scientifique du temps sous la charge symbolique chrétienne.
C’est à partir du IVe siècle que l’Eglise s’approprie le calendrier julien et le christianise progressivement. Elle y greffe son rythme liturgique et entreprend un énorme travail d’acculturation pour établir son propre cycle de commémorations en remplaçant les cérémonies romaines par les siennes.
Le calendrier chrétien rappelle la vie du Christ, encadré par les trois grandes fêtes : Noël (naissance), Pâques, (mort et résurrection) et ascension. Cette mise au point se fera entre le IVe et IXe siècle, il ne variera plus guère par la suite.
Au IVe siècle les chrétiens forment déjà un groupe important au sein de l’Empire romain. L’empereur Constantin, s’étant converti au christianisme (par politique), les chrétiens se trouvent de ce fait dans une situation privilégiée et font admettre leur cadre temporel à l’ensemble de l’Empire.
Les chrétiens cherchent à se démarquer du calendrier juif, toutefois ils conservent le découpage en période de sept jours. Ils gardent également un jour à consacrer à Dieu, mais pas le même que les juifs. Après de longues controverses, ils choisissent le lendemain du shabbat, jour ou eu lieu la résurrection du Christ. Le judaïsme était la religion du samedi, le christianisme serait celle du dimanche !
Progressivement l’Empire romain adopte le rythme de la semaine et… l’idée d’un jour de repos, exclusivement dévolu à Dieu, et en 321 l’empereur Constantin interdit les activités publiques le dimanche dans les villes.
Le point culminant du calendrier chrétien est Pâques. Choix lourd de conséquence, Pâques étant mobile, le calendrier chrétien devenait complexe, à la fois solaire (organisation de l’année) et lunaire (organisation du cycle pascal).
De ce fait, le comput sera un champ essentiel de la spéculation scientifique pendant tout le Moyen Age.
La célébration de la Nativité de Jésus le 25 décembre apparaît également au IVe siècle.
Pourquoi le 25 décembre, alors que les évangiles ne donnent aucune indication temporelle pour situer la naissance du Christ ?
On peut émettre deux explications complémentaires pour le choix de cette date.
- Les Pères de l’Eglise cherchèrent à fixer les principales fêtes chrétiennes à des moments clés de l’année solaire : Pâque à l’équinoxe de printemps, Noël près du solstice d’hiver, lorsque les jours comment à rallonger.
- A cette période charnière de l’année existaient aussi des fêtes païennes très populaires :
- le 24 décembre s’achevaient les saturnales, festivités romaines à l’origine du carnaval.
- Le 25 décembre était célébrée la naissance du soleil invaincu (natalis solis invicti), une cérémonie à la gloire de Mithra, dieu de la lumière, un culte rapporté d’Asie Mineure par les soldats romains et mis à l’honneur par l’empereur Aurélien en 274.
Noël vient se superposer au culte de Mithra., d’ailleurs dans un de ses sermons, Saint augustin évoque la naissance du Christ, soleil de justice.
Sous la pression des évêques et des empereurs, Noël supplantera les cultes païens du solstice.
En Orient, pour les mêmes raisons, on célébrait le 6 janvier, l’Epiphanie, la manifestation de Dieu sur terre. Noël s’est rapidement inscrit dans un cycle de réjouissances qui durait jusqu’à l’Epiphanie.
- Le calendrier ‘parle Chrétien’
Le temps liturgique est un temps cyclique, extrêmement élaboré.
L’année débute fin novembre avec l’Avant, temps de pénitence qui précède Noël, entrecoupé de quelques grandes fêtes comme la St Nicolas. Noël est suivi par douze jours de fête ininterrompue qui annonce le carnaval (commençant souvent le 2 février), moment de liberté, de défoulement qui va s’interrompre avec la Carême. Epoque où les travaux agricoles reprennent.
Les deux mois qui suivent Pâques sont jalonnés de fêtes importantes : les Rogations, l’Ascension (40 jours après Pâques), la Pentecôte (dix jours plus tard), mais ce sont les événements ponctuels, concurrencés par les rites agraires qui célèbrent le renouveau de la nature et le retour des beaux jours : les arbres de mai, les feux de la saint Jean.
Le calendrier liturgique et le calendrier agraire se complètent parfaitement, ainsi l’activité agricole est intense de mai à octobre, alors les temps forts du calendrier liturgique se situent pendant la morte saison agricole, de novembre à Pâques.
C’est une construction cohérente, très bien adaptée à une société rurale.
L’Eglise contrôle également le cycle hebdomadaire avec le dimanche qui a un statut particulier par rapport autres jours :
‘Jour du Seigneur, de la messe obligatoire pour tous, célébrée par les prêtres, le dimanche a permis à l’Eglise de contrôler régulièrement le temps économique et social’.
En aménageant le calendrier, le christianisme impose une façon de penser le temps. Cela se manifeste dans la discipline chrétienne ou le calendrier liturgique comporte des périodes de pénitence, de jeûnes, d’abstinence sexuelle. Les chrétiens ne doivent doit pas avoir de relations sexuelles pendant l’Avent et le Carême, les dimanches, les veilles et jours de fêtes et au début de chaque saison, pendant ce que l’on appelle les Quatre-temps.
Le calendrier chrétien structure également la vie économique. L’Eglise interdit le travail les jours de fêtes. Les principales foires se tiennent pendant les périodes de fêtes (celles de Lagny en janvier pendant les douze jours, celle de Provins pour la fête de la Sainte Croix, le 3 mai).
Les redevances se payent en automne, le plus souvent à la Saint Michel (29 septembre), plus rarement à la Saint-Rémi (1er octobre), parfois à la Saint-Martin (11 novembre). Aujourd’hui encore, en France, les fermages se règlent souvent à la Saint-Martin.
L’Eglise maîtrise aussi la mesure du temps. Seuls les clercs peuvent calculer la date de Pâques et par là même, de toutes les cérémonies qui en dépendent (du Mardi ras à la Pentecôte). Eux seuls ont la possibilité d’établir le calendrier. L’usage voulait que le jour de l’Epiphane (6 janvier), les curés de paroisses annoncent en chaire la date de Pâques.
A coté du cycle liturgique, s’établit un autre cycle religieux, celui des saints.
Dès les premiers siècles, les apôtres, les martyrs et les confesseurs font l’objet de dévotions particulières.
Les saints et la Vierge sont considérés comme des intercesseurs auprès de Dieu, et comme pour les fêtes de Noël et de Pâques, leur localisation dans le calendrier n’est pas le fruit du hasard.
L’Eglise a placé la fête des grands saints à des moments charnières de l’année solaire, à des périodes païennes, de façon à intégrer certains rites dans le système mental chrétien.
‘N’importe quel saint ne succède pas à n’importe que Dieu’, remarque l’éthologue Claude Gaignebet.
La fête de Saint –Jean-Baptiste se situe le 24 juin, tout près du solstice d’été. Elle est exactement symétrique de la Nativité de Jésus.
La fête de St Jean Baptiste jette un léger voile chrétien sur le solstice d’été, comme pour celui de l’hiver, de nombreuses rites (feux, herbes coupées pendant la nuit) se fixaient à ce moment privilégié de contact avec les forces cosmiques.
Les archanges sont eux aussi placés à des dates significatives. Fêtés aux équinoxes, les archanges Gabriel (25 mars), Michel (29 septembre), veillent sur la conception de Jésus et de Jean-Baptiste qui naissent au moment des solstices.
Une très ancienne tradition fait allumer des feux au début du mois de mai… L’Eglise institue la fête de l’invocation de la vraie Croix, le 3 mai.
Les rogations, célébrées pour la première fois en 469, essaient aussi de christianiser les rites agraires du mois de mai : avant l’Ascension, pendant trois jours, le prêtre et les villageois parcourent en procession les terres du village pour garantir les récoltes.
Autre exemple de l’acculturation chrétienne : la Toussaint. Fête de tous les saints qui n’ont pas leur place dans le calendrier.
Tradition ancienne dans l’Eglise d’Orient, connue au IVe siècle en Occident, elle avait lieu au printemps et c’est le pape Grégoire III (713-741) qui la déplace au 1er novembre ; ce jour-là correspondait à la très populaire fête des morts celtique, la Samain.
Au Xe siècle, l’abbé Odilon de Cluny institue la fête des morts le 2 novembre, ainsi la Samain est complètement assimilée. Disposant judicieusement ses fêtes, l’Eglise réussit à christianiser tous les temps forts de l’année.
C’est au XIIIe siècle que le temps des fêtes chrétiennes culmine avec la création de la Fête-Dieu (10 jours après la Pentecôte) et le développement du culte à la Vierge (Visitation, Assomption, Immaculée Conception).
La fin du XIIIe siècle, les calendriers changent de support ; on ne les sculpte plus au porche des églises, on les trouve dans les livres d’heures, sortes de bréviaires destinés à des laïcs fortunés.
Un chef d’œuvre de livre d’heures est ‘ Les Très Riches Heures du duc de Berry’.