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1 février 2024 4 01 /02 /février /2024 00:00
l'Abbé Pierre en 1955

"Mes amis, au secours... Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l'avait expulsée...

Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant tant d'horreur, les cités d'urgence, ce n'est même plus assez urgent "

Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l'un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève ; l'autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s'accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l'on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage », ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t'aime »

 

La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l'hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l'âme commune de la France. Merci ! Chacun de nous peut venir en aide aux « sans abri ». Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : cinq mille couvertures, trois cents grandes tentes américaines, deux cents poêles catalytiques.

Déposez-les vite à l'hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l'asphalte ou sur les quais de Paris.

Merci !"

 

L’Abbé Pierre se fait entendre auprès des politiques.

Depuis des semaines, l’Abbé s’efforce d’amener l’opinion à comprendre que les sans-abris ne sont ni des crapules ni des fainéants, mais simplement des hommes qui ne gagnent pas de quoi payer une chambre d’hôtel quand ils sortent de l’usine.

 

Dans la nuit du 3 au 4 janvier 1954 : Conformément à sa promesse, Léo Hamon présente à l’Assemblée l’amendement proposé par l’abbé Pierre : prélever un milliard, sur les 90 prévus pour la reconstruction, afin d’édifier des cités de première nécessité. Après 72 heures de débat, le projet est rejeté. Cette même nuit, à quelques kilomètres de l’Assemblée, un bébé de trois mois meurt de froid dans le car qui abrite sa famille au milieu d’un campement de fortune.

7 janvierDéterminé à frapper l’opinion, l’abbé Pierre écrit à Maurice Lemaire, le ministre de la Reconstruction et du Logement. Une lettre ouverte que Le Figaro publie le matin du 5.

« Monsieur le ministre, le petit bébé de la cité des Coquelicots, à Neuilly-Plaisance, mort de froid dans la nuit du 3 au 4 janvier, pendant le discours où vous refusiez les ‘Cités d’Urgence’, c’est à 14 heures, jeudi 7 janvier, qu’on va l’enterrez. Pensez à lui. Ce serait bien si vous veniez parmi nous à cette heure-là. On n’est pas des gens méchants…’’

 

12 janvier : Un peu avant les obsèques du petit Marc, on annonce à l’abbé Pierre que le ministre a décidé d’assister à l’enterrement. À l’heure dite, Maurice Lemaire suit le cortège funèbre qui traverse le camp des Coquelicots avant de gagner le cimetière. Bouleversé par une misère qu’il n’avait pas imaginée, il accepte de suivre l’Abbé à Pontault-Combault, où les compagnons d’Emmaüs ont déjà construit une trentaine de pavillons grâce à des dons. Le ministre promet alors à l’abbé Pierre l’édification de cités d’urgence.

 

Nuit du 30 janvier : L’hiver a redoublé de violence. Tous les abris et les hospices sont pleins, même les commissariats accueillent les sans-abri la nuit, mais il reste des centaines d’hommes et de femmes qui dorment dans la rue.

L’Abbé et ses compagnons reprennent leurs tournées dans Paris pour distribuer couvertures et vivres aux “couche-dehors”. Faute de mieux, on a dressé rue de la Montagne-Sainte-Geneviève une grande tente militaire prêtée par un marchand de surplus américains. On y a disposé un peu de paille sur le sol. En moins d’une heure, une soixantaine de sans-abri y ont déjà trouvé refuge. L’Abbé a dormi parmi eux.

 

1er février : Dans la nuit du 31 janvier, une femme a été retrouvée morte, boulevard de Sébastopol. On venait de l’expulser. Au matin, un journaliste suggère à l’Abbé de lancer un appel à la solidarité à la radio. L’abbé Pierre griffonne quelques mots improvisés — « Mes amis, au secours... » — qui sont diffusés au Journal parlé de la RTF et que l’Abbé Pierre lit lui-même sur les ondes de Radio Luxembourg. Cet appel à la solidarité, appelé « l’insurrection de la bonté », a permis à l'Abbé Pierre d'émouvoir les Français. Et pas seulement puisque Charlie Chaplin viendra en personne lui remettre un chèque de deux millions de francs.

 

L’Abbé Pierre, n’était pas un inconnu sur les ondes de Radio Luxembourg (devenu RTL).

 

Deux ans avant le fameux appel, en mal d'argent pour son mouvement Emmaüs, l'entourage de l'abbé Pierre a une idée : pourquoi n'irait-il pas participer à Quitte ou double, jeu radio populaire animé par Zappy Max. Cette participation serait l'occasion de gagner des sous et de faire connaître son combat.

Réticent, l'abbé Pierre accepte finalement de participer, le 22 mars 1952, sous son vrai nom : Henri Grouès

 

Le principe du jeu est simple. Si vous répondez bien à une question, vous continuez pour gagner plus ou vous quittez en empochant vos gains acquis. L'abbé Pierre qui a été député de Meurthe-et-Moselle entre 1945 et 1951 choisi un questionnaire sur la politique intérieure française et les instances internationales. 

 

La première question, pour 250 francs, portait sur le nombre de députés à l'époque et avant la guerre. L'abbé Pierre répond correctement et décide de continuer. 

Le fondateur d'Emmaüs s'est arrêté après la question à 256.000 francs, (environ 6.000 euros aujourd'hui).

Cette somme représente 50 fois le loyer annuel de la maison Neuilly-Plaisance où il accueille les sans-abris.

Pour le panache, il a répondu correctement à la question à 512.000 francs.

A la fin du jeu, il demande le micro.  Zappy Max, lui offre 7 minutes d'antenne pour sensibiliser les auditeurs à sa cause.  

 

En 1966, dans ses mémoires, Louis Merlin, alors patron de Radio Luxembourg, a révélé que les choses avaient été arrangées. 

Le chef de la radio avait sollicité l'abbé Pierre pour faire un coup de communication afin de rendre son jeu sympathique aux yeux du public. Le jeu n’a pas été truqué. L'abbé Pierre avait choisi le thème et avait eu deux semaines pour réviser mais il ne connaissait ni les questions, ni les réponses. Après tout, ce n'est pas bien grave. 

Une grande cause est peut-être plus importante qu'un petit mensonge

 

C'était la première fois que Radio Luxembourg faisait appel à la générosité de ses auditeurs. ... "Toi qui souffres, qui que tu sois entre, dort, mange et reprend espoir. Ici, on t'aime".

 

Source: RTL, Presse

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