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18 décembre 2024 3 18 /12 /décembre /2024 17:11
Déjeuner sur l'herbe - Edouard Manet

C’est sous le règne de Louis XIV, en 1667 que l’Académie royale de peinture et de sculpture française organise la première exposition publique pour présenter les œuvres de ses étudiants jugés dignes de commandes royales. Cet événement annuel forge l’idée d’un « académisme » de l’art, pris en référence pour juger la valeur d’une œuvre.

 

Au fil des ans, ces salons d’art se sont développés dans la capitale. Ils deviennent des rendez-vous incontournables pour la société mondaine. Les membres de l’Académie d’abord, puis des personnes nommées par les différents gouvernements, étaient désignés pour constituer un jury sélectionnant les œuvres à exposer selon des principes conservateurs. Une hiérarchie des genres est instituée : la peinture d’histoire (tirée d’événements anciens, de récits bibliques ou mythologiques) en tête, suivie du portrait, du paysage, et de la nature morte. En suivant ces règles, les artistes exposés espéraient être remarqués par les critiques, tandis que les rejetés avaient peu de chance de recevoir des commandes officielles ou privées,

Il faut donc attendre le XIXe siècle pour que ces « refusés » se rebellent.

 

Création du Salon "des Refusés" mai 1863

En 1846, le jury du Salon officiel rejette plusieurs œuvres de Gustave Courbet dont son célèbre autoportrait, L’Homme à la pipe. Ce refus provoque l’ire de Charles Baudelaire, farouche défenseur de “ l’étude des héros modernes ”, et du critique Jules Champfleury. Soutenu par des amis, Courbet, en 1855, décide alors de présenter ses toiles afin de laisser le public juge de la compétence des jurés ! Pour cela il fait construire un pavillon qu’il baptise le « pavillon du réalisme »,

 

En 1859, c’est au peintre François Bonvin d’exposer chez lui les toiles d’Henri Fantin-Latour, Alphonse Legros ou Théodule Ribot.En 1863, le jury du salon des artistes français, désigné par les membres de l'Académie, refuse plus de 3 000 œuvres sur les 5 000 envoyées (À l'époque, le Salon est l'unique façon pour un artiste de se faire connaître et d'acquérir une reconnaissance officielle, unique moyen d'obtenir des commandes publiques et une clientèle). 

Face à cette « hécatombe » le salon fut vigoureusement contesté par les postulants exclus, dont Antoine Chintreuil, l'un des initiateurs du Salon des Refusés.

 

L'empereur Napoléon III, informé du conflit, décide qu'une exposition des refusés se tiendrait au Palais de l'Industrie (bâtiment construit pour l'exposition Universelle de 1855 et qui précéda le Grand Palais (Paris).

La décision de Napoléon III fut publiée dans le ‘Moniteur universel’ du 24 avril 1863 : « De nombreuses réclamations sont parvenues à l'Empereur au sujet des œuvres d'art qui ont été refusées par le jury de l'Exposition. Sa Majesté, voulant laisser le public juge de la légitimité de ces réclamations, a décidé que les œuvres d'art refusées seraient exposées dans une autre partie du Palais de l'Industrie. Cette exposition sera facultative, et les artistes qui ne voudraient pas y prendre part n'auront qu'à informer l'administration qui s'empressera de leur restituer leurs œuvres'.'

 

L'initiative de Napoléon III de créer un Salon des refusés a été largement contestée par l’institution. Pourtant, cette décision historique signe pour la première fois la reconnaissance d’une modernité artistique qui s’oppose au goût académique.

C’est ainsi que le 15 mai 1863 s’ouvre, dans le Palais de l’Industrie, en marge du Salon officiel, ce curieux salon parisien. En exposant les œuvres refusées par l’Académie des beaux-arts, le Salon des refusés fait découvrir au public des créations originales, dont on retiendra ‘Déjeuner sur l’herbe’ (appelé à l’époque ‘Le bain’), d’Édouard Manet, jugé scandaleuse ! On peut y contempler 1 200 œuvres de 871 artistes, mais au XIXe siècle on regarde ce salon d’un mauvais œil, et la majorité des artistes « refusés » préfèrent retirer leurs œuvres de ce salon marginal. L’exposition est un échec complet pour les artistes présents. De ce fait, l'exposition des refusés n'eût pas lieu les années suivantes.

Pourtant, le public découvre un grand nombre d’artistes aujourd’hui tombés dans l’oubli, mais aussi les œuvres impertinentes d’Édouard Manet, de Camille Pissarro, d’Henri Fantin-Latour, de James Abbott Mc Neill Whistler ou de Johan Barthold Jongkind.

En légitimant la marginalité des artistes, cette contre-exposition historique ouvre définitivement la voie aux avant-gardes du XXe siècle.

 

Il faudra attendre 1884, avec la création du Salon des Artistes Indépendants pour que l'ensemble des artistes puissent présenter leurs œuvres librement, sans qu'elles soient soumises à l'appréciation d'un jury. La devise de ce Salon : « Sans jury ni récompenses », témoigne son désir de liberté. Le Salon des Indépendants poursuit toujours la mission qu'il s’est donnée. 

Si le Salon des refusés est aujourd’hui célèbre, c’est grâce à la polémique déclenchée par l’une des œuvres les plus scandaleuses de l’art moderne exposé à cette époque sous le titre ‘Le Bain, aujourd’hui appelé ‘Le Déjeuner sur l’herbe’ d’Édouard Manet. Avec notre œil contemporain, cette toile n’a rien d’impertinent. Au premier plan, on y aperçoit une scène de pique-nique en plein milieu d’un bois : là, une jeune femme nue est assise en compagnie de deux dandys, et nous observe. Plus loin, on aperçoit une seconde femme, à peine voilée, en train de se baigner dans un étang… Mais en 1863, la presse de l’époque n’est pas tendre avec ce Salon d’un nouveau genre, vu comme un vulgaire effet de mode. Dans la ‘Revue des deux Mondes’, l’écrivain Maxime Du Camp écrit : « Cette exhibition à la fois triste et grotesque est une des plus curieuses qu’on puisse voir. Elle prouve surabondamment, ce que du reste on savait déjà, que le jury se montre toujours d’une inconcevable indulgence. Sauf une ou deux exceptions très discutables […] on y rit comme aux farces du Palais-Royal ».  

 

A partir de 1882, les critiques à l'égard du jury se faisant qui plus est en ressentir, la Troisième République, par la voix de Jules Ferry, libère les artistes de la tutelle de l'État, lors de l'inauguration du Salon. 

En 1895, Raymond Poincaré inaugurant à son tour ce Salon, évoque le discours de Jules Ferry : « Fermer ou suspendre vos expositions, ce serait légèrement, pardonnez-moi la comparaison, comme si on s'avisait, sous le régime parlementaire, d'interdire l'accès de la tribune... L'État, messieurs, est impartial et éclectique. Il ne donne pas de conseils, il ne propage pas de théories... La tâche de l'État n'est par conséquent pas de faciliter des genres, de donner des directions, d'immobiliser la vie dans le cadre des leçons artificielles... »

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